mardi 29 juillet 2014

Témoignage - Mourir à domicile

Mourir à domicile est un fait rare, une exception. Pourtant, la grande majorité des Québécois préférerait finir ses jours à la maison. Comme autrefois.

Ce choix existe. Le réseau de la santé possède des équipes spécialisées en soins palliatifs à domicile. Pour les proches, accompagner une personne en fin de vie se révèle une expérience profondément intime. Voici leurs témoignages.

Diane Thibeault a perdu son mari, Georges Dupuy, en juillet 2009, moins d’un an après que soit tombé un diagnostic de cancer de l’intestin grêle à un stade avancé. Face à cette mort annoncée, Georges a exprimé le désir de finir ses jours à la maison aux côtés de sa conjointe, mais lui a laissé tout le loisir d’en décider autrement. Diane Thibeault a acquiescé à sa demande.

«J’ai dit : ‘Tu es chez toi. Moi aussi, c’est ce que j’aimerais, pouvoir mourir à la maison. Je vais faire tout ce que je peux, mais je ne peux pas te le promettre parce que je ne sais pas quelle sera ta condition médicale à ce moment-là.’ Il s’est mis à pleurer tellement il était content.» 

Mourir à la maison, c’est profiter le plus possible de la présence de ses proches, et ce, dans un environnement familier et rassurant. Pour Georges Dupuy, avoir accès à SON jardin et manger beaucoup mieux qu’à l’hôpital a été d’un grand réconfort, d’après sa veuve. «C’est important d’avoir une certaine vie normale, entre guillemets», résume-t-elle. 

Il n’y a pas si longtemps, on naissait et on mourait à la maison. C’était dans l’ordre des choses, dans la ‘normalité’ de la vie. Que s’est-il passé ? Une certaine dépendance à la médecine moderne, d’après le Dr Gilles Plamondon, omnipraticien spécialisé en soins palliatifs à domicile au CLSC du Marigot. 

«On a occulté la mort parce qu’on était capable de sauver des vies, pense le médecin. Mais depuis une dizaine d’années, on essaie de favoriser le décès à domicile, parce que c’est à échelle plus humaine.»

«Je pense qu’on a atteint une qualité de communication comme on n’a jamais eue, témoigne Diane Thibault. C’est paradoxal à dire mais, d’une certaine façon, il n’y a plus de filtre; on dit ce qu’on a à se dire.»

Diane Thibault se rappelle de l’avertissement du Dr Plamondon, qui soignait alors son mari, deux jours avant son décès. C’était le moment ou jamais de dire ce qui n’avait pas été dit; le médicament que s’apprêtait à lui administrer le médecin allait le plonger dans l’inconscience. «J’ai dit : ‘Docteur, on s’est dit tout ce qu’on avait à se dire. Justement parce qu’on était ensemble durant tout ce temps-là.» 

Être ensemble. Se sentir entouré, aimé. Les liens, notre héritage. Y puiser la force d’affronter l’ultime épreuve. «Je veux que mes enfants soient avec moi, confie Jeannine St-Martin, condamnée par un cancer. Je ne veux pas être à l’hôpital. Je veux être ici et tous les voir avant de partir. C’est un au revoir, pas un adieu. Je vais revenir les voir, mes enfants. J’ai promis que je leur enverrai un beau ‘bye, bye’. C’est mon seul désir. Mes amours, mes enfants.» 


Christiane Draws, la fille de Madame St-Martin, profite des derniers instants de complicité avec sa mère. Un jour à la fois. «L’autre jour, l’infirmière m’a dit : Veux-tu qu’on parle de ce qui s’en vient? J’ai dit : ‘Non, pas pour l’instant’. Je ne veux pas. Je sais que ça va être pire, mais je veux vivre au jour le jour. Quand elle est en forme, on jase, on fait des choses. Chaque journée est différente.» 


Accompagner ceux qui accompagnent

Prendre soin d’un malade à la maison est un choix courageux, qui demande beaucoup d’énergie et de force morale. On ne peut pas rester impuissant devant la souffrance de ceux qu’on aime. Tout en portant cette souffrance, on doit se transformer en infirmière et en psychologue du jour au lendemain, bien souvent sans avoir la formation nécessaire. Sans un soutien adéquat, la tâche est extrêmement difficile; le défi, presque insurmontable.

Heureusement, les familles peuvent compter sur l’aide de certains organismes, comme la Société des soins palliatifs du Grand Montréal, qui œuvre auprès des personnes atteintes de cancer depuis 35 ans. «Il faut toujours penser à la famille, insiste Elsie Monereau, directrice des soins palliatifs à la Société. Les gens qui accompagnent le malade sont-ils prêts ? Sont-ils capables ? Ils ont aussi leurs propres responsabilités. Jusqu’où sont-ils prêts à aller pour réaliser ce rêve ? LE rêve, le dernier rêve du malade.»

Au-delà de la bonne volonté, il y a les limites physiques et psychologiques des proches. Prendre soin d’un mourant requiert une présence de tous les instants, jour et nuit. Injections, médicaments, soins corporels… Dans les dernières semaines de vie, le malade est trop faible pour s’occuper de lui-même. Les professionnels de la santé viennent prodiguer des soins à domicile et, plus encore, ils offrent un soutien psychologique au malade et à la famille. Ils accompagnent… ceux qui accompagnent.

«Le premier contact est très important parce que c’est là que commence la confiance, souligne le Dr Plamondon. Pour avoir un bon lien. Pour qu’ils sachent que notre appui est indéfectible. Et comme ça, ils n’ont pas peur de nous dire les petites ou les grosses choses qui ne vont pas.» Comme la peur de la douleur. La peur de mourir dans la souffrance physique provoquée par la maladie.

Diane Villeneuve a appris l’inévitable après une première opération pour un cancer au fémur. «Ils m’ont fait passer des radiographies, des scans. Tous les jours, j’apprenais… Le poumon, j’avais le cancer aux poumons… des lésions au foie, au pancréas… toutes mes glandes, mes os… Métastasiés.» 

Josée Bergeron, la fille de Diane Villeneuve, a pris la responsabilité des soins palliatifs. «Ma mère a énormément peur de souffrir. C’est sa plus grande peur. Elle ne veut pas mourir étouffée. Elle ne veut pas mourir parce qu’elle va souffrir beaucoup, beaucoup, beaucoup. Alors on en parle aux infirmiers qui viennent et ils nous rassurent. Si jamais elle souffre trop, il y a des médicaments plus forts. Il y a des solutions.» 

«La douleur est souvent présente. Il faut la soulager à tout prix. On est capable de la soulager 99 % du temps», renchérit le Dr Plamondon. Et dans cet exceptionnel 1 % restant, on pourra aider la personne en la plongeant dans le sommeil. 

Reste la douleur morale, contre laquelle la médecine moderne peut bien peu de chose. «Il y a des choses qu’on ne peut pas soulager, reconnaît Diane Provencher, infirmière à la Société des soins palliatifs du Grand Montréal. Quand on va mourir, on a une grande souffrance psychologique. Il n’y a pas encore de pilule pour ça. La personne doit traverser cette tempête-là.» 

Et comme pour toute tempête, mieux vaut être accompagné pour y faire face. 

«Mourir à la maison peut donner une mort plus sereine, poursuit l’infirmière. Quand la personne est enveloppée d’amour, de courage, de générosité, de petits gestes de tous les instants, ça peut faciliter le lâcher-prise. Oui, certainement, ça peut aider.» 

Josée Bergeron l’a bien compris. «Aujourd’hui, je rends la pareille à ma mère. C’est grâce à elle, à son amour, que je suis ce que je suis. Je lui rends à ma façon; je tiens du fond de mon cœur à ce qu’elle termine ses jours avec nous. Le plus difficile, c’est de garder le sourire et d’être de bonne humeur dans le petit train-train quotidien, tout en sachant qu’elle ne va pas guérir. C’est ce qui est le plus difficile : savoir qu’un jour, je vais me lever et qu’elle ne me répondra pas : ‘Bonjour ma fille’.» 

Témoignage tiré de l'émission : Une pilule une petite granule de Téléquébec.